Des émotions qui libèrent

Notre vie quotidienne est ponctuée d’émotions petites ou grandes : Les « bonnes » bien sûr, la joie, le plaisir, mais aussi les « négatives » : tristesse, peur, colère, honte, gêne… Certaines nous égratignent juste un peu, d’autres nous envahissent comme un torrent qui déborde. Nous ne prenons pas toujours le temps de nous y arrêter, alors essayons de le faire l’instant d’une lecture, pour regarder comment nous pouvons en faire une ressource dans nos vies.

Souvent, la première idée que nous avons des émotions, c’est la crainte qu’elles ne nous submergent si nous leur entrouvrons la porte. Alors, tant qu’elles ne sont pas trop envahissantes, nous avons appris à essayer de les ignorer. Nous y arrivons d’ailleurs généralement assez bien, parfois à tel point qu’elles ne parviennent pas même à notre conscience, et il nous en reste juste un sentiment de malaise. Lorsque de tels sentiments s’accumulent, ils peuvent avoir un impact important sur notre journée, rien ne va, tout nous est difficile et nous ne savons pas pourquoi.
Et lorsqu’elles sont assez fortes pour s’imposer à nous, même si nous en avons conscience, nous ne savons qu’en faire, nous n’arrivons pas à les gérer. Au contraire, ce sont elles qui nous contrôlent, nous sommes comme un pantin dont elles tirent les ficelles, et elles rejaillissent alors autour de nous. Nous crions sur nos enfants ou notre conjoint, nous nous sentons victimes, nous sommes en lutte contre nous-mêmes et cela nous épuise. Non seulement elles empoisonnent notre vie, mais aussi celle de notre entourage !
Tous ces sentiments peuvent même s’empiler au point de devenir omniprésents et de nous donner envie de tout jeter, de passer nos enfants par la fenêtre ou de disparaître dans un trou de souris…

Les couleurs du monde

Pourtant, les émotions font partie de la richesse de notre vie. Je ne peux même pas imaginer une journée sans émotions ! Je ne parle pas seulement de la joie, mais aussi des émotions que nous vivons comme douloureuses. Sans elles, je me sentirais comme un petit robot mécanique, et cela me semble plus morne encore qu’une terre stérilisée par les pesticides. Elles sont indissociables de notre sensibilité, de notre relation au monde et aux personnes qui nous entourent. Les émotions ont mille nuances, elles sont comme les couleurs du monde.

Nous, nos pesticides sont les expériences répétées dans lesquelles nous avons engrangé que les émotions ne sont pas bienvenues, qu’elles sont négatives, qu’en tant qu’enfant c’était acceptable que nous ne sachions pas encore les dominer mais que cela fait partie de l’apprentissage du rôle d’adulte. Que ce sont « les bébés » qui pleurent. Ou pour les garçons, touche de sexisme qui ne gâche rien, « les filles ». Que nos caprices et nos colères sont « des enfantillages ».

Alors entre le trop et le trop peu, entre les émotions trop fortes qui nous débordent et celles que nous laissons pourrir sous le tapis, nous avons perdu le contact avec ce rôle que les émotions devraient jouer dans notre vie, rôle d’empathie et de connexion. Nous avons tendance à vivre en noir, rouge (quand elles explosent) et blanc.

Et si nous apprenions à les aimer ?

À son papa qui tentait en vain de trouver une solution pour arrêter ses pleurs, la petite fille d’une amie a fini par dire : « Mais tu sais Papa, j’aime pleurer ! ». Eh bien j’ai découvert que moi aussi je pouvais aimer pleurer. À condition qu’il y ait quelqu’un en qui j’ai confiance pour me montrer de l’empathie. Et je me suis rendu compte qu’après avoir pleuré, je me sentais joyeuse et pleine d’énergie !

J’ai beaucoup pleuré quand j’étais enfant, et « hurlé silencieusement », toute seule dans mon lit le soir. Et, bien que je pense maintenant que cela m’a probablement été très salutaire, je n’en ai pas gardé une idée positive sur les pleurs et la colère : je me sentais mal et seule, j’avais honte de ce que je ressentais, et comme je m’arrêtais dès que je pouvais me contrôler, je n’éprouvais qu’un soulagement limité.

L’expérience de vivre des émotions en étant écoutée a été bien différente.

L’expérience d’être écouté

Nous n’avons pas appris à écouter. Un jour, je suis allée au travail avec un gros souci qui m’écrasait. Ma voisine de bureau s’en est aperçue et m’a demandé ce qui n’allait pas. Je lui ai raconté mon problème, et elle m’a dit : « Tu n’as qu’à faire ceci. ». Je lui ai répondu que ça n’était pas possible pour telle raison. Elle a proposé : « Alors, fais comme cela. ». Mais cela ne correspondait pas non plus et je le lui ai dit. Elle a rétorqué avec humeur : « Mais alors, si tu ne veux pas que je t’aide, pourquoi tu m’en parles ? »…

En fait, après la première phase où elle m’avait laissée exposer mon problème, je me sentais un peu soulagée. Mais ensuite, j’en suis ressortie plutôt plus mal que je ne l’étais au début, avec une pointe de culpabilité et une louche de sentiment d’injustice en prime…
Pourtant, je sais à quel point les copines à qui l’on peut parler de nos soucis sont précieuses ! Je le mets au féminin, car il semble que ce soit encore un peu notre privilège à nous les femmes…

Mais pouvoir aller plus loin, laisser monter l’émotion, pleurer si l’on en ressent le besoin, crier notre frustration, notre déception, dire combien nous ne méritons pas ce qui nous arrive… avec quelqu’un qui nous écoute et nous y encourage, c’est une expérience que l’on a rarement l’occasion de faire. Car nous avons enregistré l’idée que les autres ne savaient guère plus que nous quoi faire de nos émotions, qu’elles les embarrassaient, et que les réponses qu’ils nous donnaient ne nous aidaient pas du tout.

Maintenant, il nous faut réapprivoiser l’idée que nous pouvons recevoir l’écoute dont nous avons besoin pour aller au cœur de nos émotions.

Côté écoute

Écouter des émotions, ce n’est pas la même chose qu’écouter tout court. Ce n’est pas une communication, nous n’avons pas besoin de comprendre, nous n’allons ni répondre, ni donner notre avis ou des conseils, ni partager notre expérience. C’est plutôt comme tenir la main d’un enfant qui explore un endroit difficile pour lui. Nous ne devons pas essayer de l’aider à résoudre son problème, juste lui donner un peu plus de sécurité pour qu’il puisse se lancer.

Ce n’est pas non plus de « l’écoute active », bien qu’il y ait certains points communs. Il n’est pas utile de reformuler ce que la personne a dit, de lui faire préciser sa pensée ou de lui poser des questions. En fait, plus on fait fonctionner l’intellect et plus il y a de chances que les émotions reculent. Si quelqu’un nous dit : « J’ai envie de tuer tout le monde », nous comprenons bien que la personne exprime une colère et qu’elle n’a aucune intention de tuer qui que ce soit. Tout ce qui est dit dans le cadre de l’écoute est à prendre de cette manière : sans se poser de questions sur ce que cela pourrait impliquer en réalité, sans jugement, seulement comme l’expression de l’émotion.

Ce n’est pas toujours facile, surtout si l’on est partie prenante – comme cela peut être le cas en couple par exemple, pour des émotions liées aux enfants.

Si la personne que nous écoutons est déjà bien entrée dans son émotion, nous pouvons l’écouter avec toute notre attention et notre amitié, en le montrant par notre attitude et par de légers signes (hocher la tête, dire « oui »…). Si elle commence à pleurer et si elle semble en avoir envie, on peut passer le bras sur ses épaules, la prendre dans nos bras… en restant sensible à ses réactions et en s’interrompant dès que ce que nous faisons semble diminuer l’émotion plutôt que de l’augmenter. Il y a plus de chances que nous en fassions trop que pas assez, alors ne nous creusons pas trop la tête pour chercher ce que nous devons faire, le plus important est notre présence aimante.

Si les émotions ont du mal à sortir et qu’il y a besoin d’aider un peu plus, on peut essayer de petites phrases comme : « C’est dur. », « Ça t’a fait de la peine. », « C’est pas juste. »… On peut aussi lui proposer de crier dans un coussin ou de taper dessus si elle est en colère. Quelquefois la parole peut être un piège, une manière de contrôler les émotions en racontant l’histoire plutôt que de la ressentir. Il peut alors être utile de demander « Et qu’est-ce que tu ressens ? », « Comment c’était pour toi ? »…

Lorsque l’écoute est terminée, il est très important pour construire la sécurité de ne pas reparler de ce qui s’est vécu pendant ce temps, car ce que l’on dirait pourrait donner l’impression d’un jugement.

Et côté émotions

De notre côté, la question est de trouver des partenaires et de leur faire comprendre ce que l’on attend d’eux. Ça ne sera probablement pas parfait au début, mais si c’est quelqu’un de proche (conjoint ou ami), et surtout si la relation d’écoute est dans les deux sens, ce qui est très souhaitable, nous apprenons petit à petit à nous écouter de mieux en mieux, et donc à développer de plus en plus de confiance et à aller plus facilement et plus profondément dans nos émotions.

Dans ce temps, nous allons chercher à donner toute la place à l’émotion. Pour nous non plus l’objectif n’est pas de raconter, de comprendre ou de décoder ce qui se passe en nous, mais de l’exprimer physiquement. Par les pleurs, les cris, par le rire aussi. Le rire est la forme la plus agréable de ce travail et il nous permet d’évacuer beaucoup de sentiments de malaise, de gêne, la peur aussi. Alors profitons-en !

La personne à qui nous demandons de nous écouter ne doit pas être celle qui a généré l’émotion, parce qu’il y a peu de chances qu’elle puisse nous écouter sereinement sur le sujet, et cela pourrait finir de façon blessante. Trouver quelqu’un d’autre pour écouter ce que nous ressentons vis-à-vis d’elle sera beaucoup plus efficace pour désamorcer la difficulté dans la relation.

Et si nous ne trouvons personne, pas même au téléphone ? Alors, il est toujours possible de s’adresser dans notre coeur à quelqu’un que nous aimons, peut-être une personne décédée ou Dieu si cela nous parle… L’important est que nous puissions avoir le sentiment d’être écouté et compris.

Nos émotions sont comme une cocotte-minute sous pression en permanence. Dès que le feu est allumé un moment en dessous, la soupape se met à tourner comme une folle et nous ne pouvons rien contrôler. Mais si nous prenons le temps de la soulever chaque fois que nous en avons l’occasion, nous diminuons suffisamment la pression pour que, lorsque le feu est allumé, nous ayons une marge suffisante pour l’éteindre ou au moins le baisser avant qu’elle ne s’affole.

Lorsqu’elle nous manipule, l’émotion nous enferme dans un comportement rigide et stéréotypé. Si plutôt que d’agir sous le coup de l’émotion nous prenons le temps de la dégonfler d’abord, nous aurons l’esprit plus clair, plus d’enthousiasme et de créativité pour interagir avec la situation qui l’a générée. Au lieu de provoquer de nouveaux problèmes, et en particulier de blesser ceux que nous aimons, l’émotion va alors nous aider à avoir une réponse adaptée.

En consacrant ainsi du temps à nos émotions, nous arrivons à mieux les comprendre, à mieux nous comprendre nous-mêmes et à comprendre les autres. Elles prennent une plus juste place, elles éclairent ce que nous vivons, nous aidant à apprécier les situations, nous connectant à notre sensibilité et à celle des autres.

Nos émotions peuvent alors devenir une ressource précieuse dans notre vie.

Brigitte Guimbal
PEPS N°2