L’obéissance en question

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Article de Brigitte Guimbal
publié dans le numéro 3 de PEPS

Je suis tombée sur une devinette que je n’ai pas trouvée drôle : Quelles sont les trois lettres préférées des parents ? Réponse : O.B.I. !
L’obéissance serait-elle donc la vertu première des enfants ? Elle semble pourtant bien difficile à obtenir ! Est-il possible de se faire obéir sans violence ? Et nous, quels moyens ont été employés avec nous ? Quels ont été leurs effets ?

Nos parents nous ont très probablement demandé d’obéir, même s’il se peut que nous ne nous en souvenions plus très bien. Il arrive aussi fréquemment que nous nous souvenions des méthodes mais que nous ayons oublié ce que nous ressentions, au point parfois d’affirmer que « nous ne nous en portons pas plus mal ». Il n’est en effet pas toujours facile de remettre en question ce qui nous a semblé enfants si universellement partagé, et par conséquent de le repenser à neuf pour nos propres enfants. Pourtant, cette question reste souvent un vrai casse-tête pour les parents.

Un, deux, quatre…
« Ah, la reproduction ! » soupire Morgane. « J’ai commencé à dire à mes enfants “Attention, je compte jusqu’à trois…” presque sans m’en rendre compte. Il a fallu que mon frère parle des souvenirs qu’il en avait pour que je retrouve le sentiment d’affolement que cela provoquait en moi. Je savais qu’il n’y avait pas d’autre moyen d’échapper à la punition, alors bien sûr je cédais toujours, dans la peur et le désespoir. Il n’y avait pas de temps pour me faire comprendre, pas de place pour exister. »

J’ai connu une petite fille dont les parents comptaient souvent jusqu’à trois pour la faire obéir. Lorsqu’elle a appris à compter, elle comptait « un, deux, quatre… » : elle ne voulait plus entendre parler du trois.

« Quand je ne me comportais pas comme elle voulait, ma mère me mettait au coin, “pour que je réfléchisse à ce que j’avais fait”. Je le ressentais comme une offense. Je me vengeais en arrachant par petits bouts le papier peint. Je me sentais rejetée et incomprise. J’avais l’impression qu’elle me disait : “Je ne veux pas m’occuper de toi”. » raconte Sophie.

Actuellement, le « temps mort » a tendance à remplacer le coin, mais cela ne semble pas très différent.
L’enfant mis à l’écart le ressent comme une violence, une humiliation et une injustice. Aujourd’hui où les enfants sont moins écrasés par leur éducation que dans ma jeunesse, ils l’acceptent souvent mal. Ils peuvent répondre à cette violence par la violence, par exemple en tapant ou mordant les parents, réagir en insultant, en rigolant… Comme je pense qu’il n’y a pas grand chose de pire que d’être écrasé, j’ai tendance à trouver que c’est plutôt bon signe !

Douces violences
« Le désordre me met très mal à l’aise » dit Stéphanie. « J’ai un vieux souvenir associé à ça : un jour où nous arrivions chez ma grand-mère, nous n’avons pas trouvé nos jouets à leur place habituelle. Nous lui avons demandé où ils étaient, et elle a répondu que comme nous n’avions pas voulu les ranger la dernière fois, elle les avait jetés. Je me suis mise à pleurer. Finalement, elle a dit qu’elle ne les avait pas encore jetés, mais qu’elle le ferait la prochaine fois qu’ils ne seraient pas rangés. Nous n’avons plus jamais osé laisser traîner un seul jouet chez elle. »

Le principal réconfort de Marie était son nounours. C’était son confident, elle lui racontait tous ses malheurs… « Si elle trouvait que je n’étais pas sage, Maman confisquait mon nounours. C’était dramatique pour moi. Je pleurais toutes les larmes de mon corps, mais elle ne me le rendait pas. Je n’avais pas d’autre solution que de faire tout ce qu’elle voulait. D’ailleurs, j’ai toujours fait tout ce que les autres voulaient.  »

Chantal, elle, est la gentillesse même, elle ne sait pas dire non, mais elle trouve qu’elle se fait marcher sur les pieds :
« Maman me disait que j’étais gentille et qu’elle était fière de moi quand je faisais ce qu’elle me demandait, et au contraire, que j’étais vilaine et que je lui faisais de la peine quand je ne lui obéissais pas. Ça n’arrivait pas souvent, j’avais tellement peur de perdre son amour ! »

Il est possible à l’enfant de garder un sentiment de révolte face aux coups, mais c’est beaucoup plus difficile devant le risque de perdre l’amour et l’approbation des parents. C’est une prison bien plus subtile.
Je rencontre tellement de personnes qui me disent qu’elles sont coincées dans ce rôle de « gentilles », qu’elles ne savent pas dire non ! Elles n’arrivent pas à savoir ce qu’elles veulent ou ce qui est bon pour elles, quelquefois elles ont même du mal à imaginer qu’elles pourraient vouloir quelque chose…

J’ai tout essayé !
Il est facile de rentrer dans un cercle vicieux qui donne l’impression d’avoir « tout essayé », parce que si l’on commence à se placer dans le registre du pouvoir il va falloir en faire toujours plus pour s’y maintenir.

Il y a généralement un tel écart entre la manière dont nos enfants réagissent à l’autorité et ce que nous avons vécu enfants que nous avons du mal à nous y retrouver : nous avons souvent le sentiment d’être beaucoup plus à l’écoute que nos propres parents, et nous ne comprenons pas pourquoi nos enfants n’y réagissent pas de manière plus satisfaisante.

C’est que la position du milieu est la plus difficile à tenir : l’autoritarisme fonctionne, dans une certaine mesure, parce qu’il écrase l’enfant – jusqu’à ce qu’il finisse éventuellement par se rebeller. La coopération fonctionne aussi, si nous sommes prêts à remettre en question notre vision de l’obéissance et nos attentes envers l’enfant ; mais nous avons souvent du chemin à parcourir pour en arriver là.

Entre les deux, l’équilibre est instable, car plus il y a de moments où nous sommes dans l’autoritarisme, moins l’enfant sera coopératif, et plus il y a de moments où nous sommes à l’écoute, moins l’enfant acceptera de se soumettre à l’autoritarisme. Cette instabilité peut vite nous pousser à entrer dans une vaine lutte de pouvoir.

L’obéissance, c’est dépassé !
Finalement, se faire obéir, même sans taper, il semble bien que cela reste toujours une question de faire peur. Peur de la punition, de la privation, du rejet, de l’humiliation, de perdre l’amour des parents…
Alors, l’obéissance, est-ce un bon objectif ? Je ne le crois pas, et les expériences de Milgram (cf. encadré) m’ont largement confortée dans cette idée. Ne préférons-nous pas que nos enfants développent leur propre capacité à penser, leur propre jugement, plutôt qu’ils obéissent à une autorité en contradiction avec leur conscience ?

Un objectif que l’on ne peut atteindre que par la peur peut-il être bon ? Est-ce vraiment ce genre de relation que nous voulons avec notre enfant ?

Nous avons souvent l’attente que l’enfant comprenne ce que nous attendons de lui et y réponde, bien avant qu’il n’en soit réellement capable. Une chose que j’ai retenue d’une conférence d’Aletha Solter1 est que l’on doit s’attendre à ce qu’un enfant n’obéisse pas aux injonctions verbales jusqu’à l’âge de sept ans ! Il y répondra parfois bien sûr, mais il n’est pas capable de le faire systématiquement.

Nous avons souvent le raisonnement inverse : dès que l’enfant a commencé à répondre à nos demandes, nous en déduisons qu’il en est capable, et nous nous attendons à ce qu’il continue à le faire. Nous avons tendance à voir les cas où cela ne marche pas comme un refus de coopérer.
Même plus grand, dans les moments où l’enfant est envahi par les émotions, il sera rarement capable d’entendre ce que nous disons.
Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas arrêter le comportement d’un enfant bien avant sept ans, par exemple s’il tape sur un autre : il y a d’autres possibilités que l’injonction verbale, comme de nous interposer physiquement avec bienveillance.

Les enfants sont naturellement coopératifs, dans la limite où nos demandes ne sont pas en conflit avec leurs propres besoins (ne pas être sous pression, pouvoir faire leurs expériences…). Lorsque cela ne fonctionne pas, il y a toujours quelque chose à comprendre. Ils ont peut-être une difficulté par rapport à laquelle nous pouvons les aider. Mais il se peut aussi que nous ayons besoin de remettre en question nos attentes envers eux. Trouver le chemin de la coopération nous apprendra beaucoup !

En savoir plus

Les expériences de Milgram2
Jusqu’où une personne va-t-elle obéir à l’autorité, dans une situation où celle-ci entre en conflit avec sa conscience ? C’est la question que s’est posée le psychologue Stanley Milgram. Il a donc simulé une situation d’apprentissage, dans laquelle le sujet devait administrer des électrochocs à un élève chaque fois qu’il se trompait, en présence d’un expérimentateur qui représentait l’autorité. Les électrochocs étaient de plus en plus violents et l’élève protestait de plus en plus fort, suppliait qu’on le laisse partir, puis refusait de répondre et hurlait à chaque nouveau choc – en réalité, l’élève était un acteur et les électrochocs étaient simulés.

Milgram a demandé l’avis de psychiatres sur cette expérience, et ceux-ci ont estimé qu’il n’y aurait guère qu’un ou deux sujets sur mille représentant des cas suffisamment pathologiques pour aller jusqu’au bout. Il a aussi demandé à des personnes ce qu’elles pensaient qu’elles feraient dans une telle situation, et là, elles ont unanimement affirmé qu’elles arrêteraient dès les premiers chocs douloureux. Pourtant, 65 % des sujets sont allés jusqu’aux dernières manettes, au-delà de l’étiquette « Attention choc dangereux » (l’étiquette des dernières était simplement « XXX »), et ce malgré les cris de protestation de l’élève.

Cette situation générait chez la plupart des sujets un stress énorme, et ils manifestaient par moments le désir d’arrêter. L’expérimentateur disposait de quatre phrases pour les inciter à continuer. S’ils refusaient d’obéir après la quatrième, cela mettait fin à l’expérience.
Ceux qui montraient le moins de réaction devant les protestations de l’élève étaient généralement dans une attitude de grande servilité devant l’expérimentateur, et cherchaient répétitivement son approbation.
Consterné par les résultats obtenus, Milgram a cherché à changer les conditions de l’expérience pour favoriser le refus de coopérer. Dans l’une des variantes, l’expérimentateur sortait de la pièce temporairement. La plupart des sujets cessaient alors d’administrer les chocs, et prétendaient sans vergogne avoir continué lorsqu’il revenait.
La contrainte à l’obéissance semble donc soit conduire à une soumission servile dans laquelle la personne perd toute référence à ses propres valeurs, soit générer un conflit intérieur pouvant conduire à tricher et mentir dès que l’occasion s’en présente.

Ces expériences ont été transposées récemment dans le cadre d’une émission télévisée3, avec des résultats semblables.
En parallèle à l’analyse par la philosophe Hanna Arendt du procès d’Eichmann
4, les expériences de Milgram montrent combien l’éducation à l’obéissance nous dépossède de notre responsabilité, et peut même aller jusqu’à conduire aux pires crimes.

 

1 Voir www.awareparenting.com/france.htm
2Soumission à l’autorité, Stanley Milgram, Calmann-Lévy (1974)
3Le jeu de la mort, diffusé le 17 mars 2010 sur France 2.
4Eichmann à Jérusalem, Hanna Arendt, Folio (1997). Lors de ce procès, Eichmann, organisateur de l’extermination de millions de Juifs durant la Shoah, a exprimé son incompréhension devant sa condamnation : une punition qui, selon lui, aurait dû être réservée aux seuls dirigeants, lui-même n’ayant fait qu’obéir aux ordres.

IMGP2868

rubrique : grand reportage au pays de l’enfance

L’obéissance en question

Je suis tombée sur une devinette que je n’ai pas trouvée drôle : Quelles sont les trois lettres préférées des parents ? Réponse : O.B.I. !

L’obéissance serait-elle donc la vertu première des enfants ? Elle semble pourtant bien difficile à obtenir ! Est-il possible de se faire obéir sans violence ? Et nous, quels moyens ont été employés avec nous ? Quels ont été leurs effets ?

Nos parents nous ont très probablement demandé d’obéir, même s’il se peut que nous ne nous en souvenions plus très bien. Il arrive aussi fréquemment que nous nous souvenions des méthodes mais que nous ayons oublié ce que nous ressentions, au point parfois d’affirmer que « nous ne nous en portons pas plus mal ». Il n’est en effet pas toujours facile de remettre en question ce qui nous a semblé enfants si universellement partagé, et par conséquent de le repenser à neuf pour nos propres enfants. Pourtant, cette question reste souvent un vrai casse-tête pour les parents.

Un, deux, quatre…

« Ah, la reproduction ! » soupire Morgane. « J’ai commencé à dire à mes enfants “Attention, je compte jusqu’à trois…” presque sans m’en rendre compte. Il a fallu que mon frère parle des souvenirs qu’il en avait pour que je retrouve le sentiment d’affolement que cela provoquait en moi. Je savais qu’il n’y avait pas d’autre moyen d’échapper à la punition, alors bien sûr je cédais toujours, dans la peur et le désespoir. Il n’y avait pas de temps pour me faire comprendre, pas de place pour exister. »

J’ai connu une petite fille dont les parents comptaient souvent jusqu’à trois pour la faire obéir. Lorsqu’elle a appris à compter, elle comptait « un, deux, quatre… » : elle ne voulait plus entendre parler du trois.

« Quand je ne me comportais pas comme elle voulait, ma mère me mettait au coin, “pour que je réfléchisse à ce que j’avais fait”. Je le ressentais comme une offense. Je me vengeais en arrachant par petits bouts le papier peint. Je me sentais rejetée et incomprise. J’avais l’impression qu’elle me disait : “Je ne veux pas m’occuper de toi”. » raconte Sophie.

Actuellement, le « temps mort » a tendance à remplacer le coin, mais cela ne semble pas très différent.

L’enfant mis à l’écart le ressent comme une violence, une humiliation et une injustice. Aujourd’hui où les enfants sont moins écrasés par leur éducation que dans ma jeunesse, ils l’acceptent souvent mal. Ils peuvent répondre à cette violence par la violence, par exemple en tapant ou mordant les parents, réagir en insultant, en rigolant… Comme je pense qu’il n’y a pas grand chose de pire que d’être écrasé, j’ai tendance à trouver que c’est plutôt bon signe !

Douces violences

« Le désordre me met très mal à l’aise » dit Stéphanie. « J’ai un vieux souvenir associé à ça : un jour où nous arrivions chez ma grand-mère, nous n’avons pas trouvé nos jouets à leur place habituelle. Nous lui avons demandé où ils étaient, et elle a répondu que comme nous n’avions pas voulu les ranger la dernière fois, elle les avait jetés. Je me suis mise à pleurer. Finalement, elle a dit qu’elle ne les avait pas encore jetés, mais qu’elle le ferait la prochaine fois qu’ils ne seraient pas rangés. Nous n’avons plus jamais osé laisser traîner un seul jouet chez elle. »

Le principal réconfort de Marie était son nounours. C’était son confident, elle lui racontait tous ses malheurs… « Si elle trouvait que je n’étais pas sage, Maman confisquait mon nounours. C’était dramatique pour moi. Je pleurais toutes les larmes de mon corps, mais elle ne me le rendait pas. Je n’avais pas d’autre solution que de faire tout ce qu’elle voulait. D’ailleurs, j’ai toujours fait tout ce que les autres voulaient.  »

Chantal, elle, est la gentillesse même, elle ne sait pas dire non, mais elle trouve qu’elle se fait marcher sur les pieds :

« Maman me disait que j’étais gentille et qu’elle était fière de moi quand je faisais ce qu’elle me demandait, et au contraire, que j’étais vilaine et que je lui faisais de la peine quand je ne lui obéissais pas. Ça n’arrivait pas souvent, j’avais tellement peur de perdre son amour ! »

Il est possible à l’enfant de garder un sentiment de révolte face aux coups, mais c’est beaucoup plus difficile devant le risque de perdre l’amour et l’approbation des parents. C’est une prison bien plus subtile.

Je rencontre tellement de personnes qui me disent qu’elles sont coincées dans ce rôle de « gentilles », qu’elles ne savent pas dire non ! Elles n’arrivent pas à savoir ce qu’elles veulent ou ce qui est bon pour elles, quelquefois elles ont même du mal à imaginer qu’elles pourraient vouloir quelque chose…

J’ai tout essayé !

Il est facile de rentrer dans un cercle vicieux qui donne l’impression d’avoir « tout essayé », parce que si l’on commence à se placer dans le registre du pouvoir il va falloir en faire toujours plus pour s’y maintenir.

Il y a généralement un tel écart entre la manière dont nos enfants réagissent à l’autorité et ce que nous avons vécu enfants que nous avons du mal à nous y retrouver : nous avons souvent le sentiment d’être beaucoup plus à l’écoute que nos propres parents, et nous ne comprenons pas pourquoi nos enfants n’y réagissent pas de manière plus satisfaisante.

C’est que la position du milieu est la plus difficile à tenir : l’autoritarisme fonctionne, dans une certaine mesure, parce qu’il écrase l’enfant – jusqu’à ce qu’il finisse éventuellement par se rebeller. La coopération fonctionne aussi, si nous sommes prêts à remettre en question notre vision de l’obéissance et nos attentes envers l’enfant ; mais nous avons souvent du chemin à parcourir pour en arriver là.

Entre les deux, l’équilibre est instable, car plus il y a de moments où nous sommes dans l’autoritarisme, moins l’enfant sera coopératif, et plus il y a de moments où nous sommes à l’écoute, moins l’enfant acceptera de se soumettre à l’autoritarisme. Cette instabilité peut vite nous pousser à entrer dans une vaine lutte de pouvoir.

L’obéissance, c’est dépassé !

Finalement, se faire obéir, même sans taper, il semble bien que cela reste toujours une question de faire peur. Peur de la punition, de la privation, du rejet, de l’humiliation, de perdre l’amour des parents…

Alors, l’obéissance, est-ce un bon objectif ? Je ne le crois pas, et les expériences de Milgram (cf. encadré) m’ont largement confortée dans cette idée. Ne préférons-nous pas que nos enfants développent leur propre capacité à penser, leur propre jugement, plutôt qu’ils obéissent à une autorité en contradiction avec leur conscience ?

Un objectif que l’on ne peut atteindre que par la peur peut-il être bon ? Est-ce vraiment ce genre de relation que nous voulons avec notre enfant ?

Nous avons souvent l’attente que l’enfant comprenne ce que nous attendons de lui et y réponde, bien avant qu’il n’en soit réellement capable. Une chose que j’ai retenue d’une conférence d’Aletha Solter1 est que l’on doit s’attendre à ce qu’un enfant n’obéisse pas aux injonctions verbales jusqu’à l’âge de sept ans ! Il y répondra parfois bien sûr, mais il n’est pas capable de le faire systématiquement.

Nous avons souvent le raisonnement inverse : dès que l’enfant a commencé à répondre à nos demandes, nous en déduisons qu’il en est capable, et nous nous attendons à ce qu’il continue à le faire. Nous avons tendance à voir les cas où cela ne marche pas comme un refus de coopérer.

Même plus grand, dans les moments où l’enfant est envahi par les émotions, il sera rarement capable d’entendre ce que nous disons.

Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas arrêter le comportement d’un enfant bien avant sept ans, par exemple s’il tape sur un autre : il y a d’autres possibilités que l’injonction verbale, comme de nous interposer physiquement avec bienveillance.

Les enfants sont naturellement coopératifs, dans la limite où nos demandes ne sont pas en conflit avec leurs propres besoins (ne pas être sous pression, pouvoir faire leurs expériences…). Lorsque cela ne fonctionne pas, il y a toujours quelque chose à comprendre. Ils ont peut-être une difficulté par rapport à laquelle nous pouvons les aider. Mais il se peut aussi que nous ayons besoin de remettre en question nos attentes envers eux. Trouver le chemin de la coopération nous apprendra beaucoup !

Brigitte Guimbal

***encadré***

Les expériences de Milgram2

Jusqu’où une personne va-t-elle obéir à l’autorité, dans une situation où celle-ci entre en conflit avec sa conscience ? C’est la question que s’est posée le psychologue Stanley Milgram. Il a donc simulé une situation d’apprentissage, dans laquelle le sujet devait administrer des électrochocs à un élève chaque fois qu’il se trompait, en présence d’un expérimentateur qui représentait l’autorité. Les électrochocs étaient de plus en plus violents et l’élève protestait de plus en plus fort, suppliait qu’on le laisse partir, puis refusait de répondre et hurlait à chaque nouveau choc – en réalité, l’élève était un acteur et les électrochocs étaient simulés.

Milgram a demandé l’avis de psychiatres sur cette expérience, et ceux-ci ont estimé qu’il n’y aurait guère qu’un ou deux sujets sur mille représentant des cas suffisamment pathologiques pour aller jusqu’au bout. Il a aussi demandé à des personnes ce qu’elles pensaient qu’elles feraient dans une telle situation, et là, elles ont unanimement affirmé qu’elles arrêteraient dès les premiers chocs douloureux. Pourtant, 65 % des sujets sont allés jusqu’aux dernières manettes, au-delà de l’étiquette « Attention choc dangereux » (l’étiquette des dernières était simplement « XXX »), et ce malgré les cris de protestation de l’élève.

Cette situation générait chez la plupart des sujets un stress énorme, et ils manifestaient par moments le désir d’arrêter. L’expérimentateur disposait de quatre phrases pour les inciter à continuer. S’ils refusaient d’obéir après la quatrième, cela mettait fin à l’expérience.

Ceux qui montraient le moins de réaction devant les protestations de l’élève étaient généralement dans une attitude de grande servilité devant l’expérimentateur, et cherchaient répétitivement son approbation.

Consterné par les résultats obtenus, Milgram a cherché à changer les conditions de l’expérience pour favoriser le refus de coopérer. Dans l’une des variantes, l’expérimentateur sortait de la pièce temporairement. La plupart des sujets cessaient alors d’administrer les chocs, et prétendaient sans vergogne avoir continué lorsqu’il revenait.

La contrainte à l’obéissance semble donc soit conduire à une soumission servile dans laquelle la personne perd toute référence à ses propres valeurs, soit générer un conflit intérieur pouvant conduire à tricher et mentir dès que l’occasion s’en présente.

Ces expériences ont été transposées récemment dans le cadre d’une émission télévisée3, avec des résultats semblables.

En parallèle à l’analyse par la philosophe Hanna Arendt du procès d’Eichmann4, les expériences de Milgram montrent combien l’éducation à l’obéissance nous dépossède de notre responsabilité, et peut même aller jusqu’à conduire aux pires crimes.

1 Voir www.awareparenting.com/france.htm

2Soumission à l’autorité, Stanley Milgram, Calmann-Lévy (1974)

3Le jeu de la mort, diffusé le 17 mars 2010 sur France 2.

4Eichmann à Jérusalem, Hanna Arendt, Folio (1997). Lors de ce procès, Eichmann, organisateur de l’extermination de millions de Juifs durant la Shoah, a exprimé son incompréhension devant sa condamnation : une punition qui, selon lui, aurait dû être réservée aux seuls dirigeants, lui-même n’ayant fait qu’obéir aux ordres.